samedi 6 janvier 2007

A la belle étoile

© Brice 2007

Chaque jour charrie son lot de promesses et de réactions relayées par les médias. Pourtant, le canal St Martin ne désemplit pas, les SDFs sont toujours là. Bientôt un mois qu’ils occupent les berges, que la masse invisible des sans-abri s’exhibe, au nez et à la vue des passants, au nez et à la barbe des politiques. A quatre mois des élections chacun peaufine ses résolutions pour régler la crise du logement. Et dans l’attente de propositions effectives, les bivouacs bourgeonnent, hier à Orléans, aujourd’hui à Lille, où donc demain ?
D’aucuns pensaient que le mouvement allait s’essouffler après les fêtes. Le charismatique responsable des Enfants de Don Quichotte – l’association par qui le débat est arrivé – Augustin Legrand, devait s’envoler loin de ses protégés en raison d’un tournage. L’homme est acteur, et les mauvaises langues se frottaient déjà les mains. Et pourtant, les tentes sont bien là. Fidèles au poste. Le temps maussade n’y fait rien.
Sur les rives du canal St Martin, ils sont deux cent cinquante, peut être plus. Organisés, soudés. Des tables en bois sont dressées, garnies de jus de fruits et de menues collations. Un café situé le long du quai de Jemmapes fait office de Quartier Général. Le patron distribue gratuitement les boissons.
La nuit tombée, le tumulte se mue en silence. Du haut des ponts qui barrent le canal, on voit bien l’alignement des tentes, ces tentes qui défient les puissants, qui crient au secours. La pluie tape contre les pavés, contre les parois. Juan sort de sa grotte de tissu pour allumer une cigarette : « On les aura, on les fera plier. Dans le quartier, tout le monde nous soutient. On attend juste un geste de l’Etat. » Il est 23h, une petite troupe s’agite encore du côté des tables de vivres. Un groupe électrogène éclaire la scène. Les discussions sont vives, les répliques fusent : « Mais non », s’exclame Luigi, la quarantaine, « t’as rien compris » ; et un grand costaud de répondre en s’esclaffant : « quoiqu’on en dise, on est mieux ici que disséminés dans Paris».
L’union fait la force, et la bonne humeur. C’est le constat qui semble s’imposer. Une petite balade le long des tentes suffit pour sentir qu’au-delà des revendications, l’initiative des Enfants de Don Quichotte a permis de rapprocher ceux qui sont habitués à vivre seuls. Le bivouac est devenu un laboratoire d’idées neuves. Les sans-abri confrontent leurs expériences. Bien sûr, ça parle politique. « Tous pourris », regrette Carl, à la rue depuis 1995. Il a vu les hommes défiler, mais il n’a pas vu sa situation s’améliorer. Alors, l’élection qui approche, il n’en attend pas grand-chose, même si pour une fois, il admet que « là, quelque chose va peut être changer. »
Une chose est sûre, le campement improvisé n’est pas prêt de désemplir. C’est un petit village qui s’est installé en plein Paris, à quelques pas de la Gare de l’Est. A moins que la police ne s’en mêle : à Strasbourg, vingt-deux tentes ont été déplacées. Les sans-logis du canal veulent croire en leur bonne étoile.
© Brice 2007

2 commentaires:

cmf a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
cmf a dit…

nb : les tentes Quechua risquent de se faire rares dans les campings, de peur que ses vacances ne ressemblent au quotidien des sdf...